On ne parle pas aux machines !
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Je demande aux participants à ce débat de bien lire l'énoncé
Faut-il s'inquiéter du développement de la parole artificielle dans nos vies quotidiennes ? Assurément ! Cette inquiétude s'exprime dès 2020, bien avant le raz-de-marée des intelligences artificielles génératives, dans les propos du psychiatre Serge Tisseron : « La machine parlante risque de confronter l'homme à deux caractéristiques qui lui ont permis de se socialiser et de conquérir le monde mais qui pourraient le perdre à partir du moment où elles seraient exploitées sans autre préoccupation "par les marchands" : la recherche d'un interlocuteur attentif et jamais fatigué de l'écouter et la tendance à attribuer aux objets qui attirent son attention des dispositions bienveillantes ou hostiles. Ce qui nous amène à cette question : si la synthèse vocale simplifie nos relations aux machines, ne va-t-elle pas compliquer nos relations avec nous-mêmes et avec nos semblables ? »
La voix des machines, produite par la puissance des calculateurs, mime le langage humain sans que l'oreille puisse distinguer l'authenticité de sa source. Elle ne provient pas d'un corps et n'est portée par aucun souffle. « Ça parle », mais personne ne parle. Nous sommes aujourd'hui tout à la fois séduits et submergés par des « voix sans esprit », des « paroles sans conscience ».
Notre désarmement collectif face à ce phénomène révèle une profonde ignorance sur la spécificité de la parole humaine. Notre nature humaine n'est pas encore achevée en chacun de nous et la parole n'est pas qu'un simple outil, elle est le lieu même où se joue notre humanisation. Tout au long de notre existence, nous assimilons des paroles comme un aliment vital pour l'esprit. Elles nourrissent notre psychisme, construisent notre intelligence du monde et forgent notre rapport au réel.
L'être humain est le seul mammifère qui, pour vivre pleinement, doit impérativement produire du sens, élaborer des représentations, chercher la cohérence des choses. C'est son impératif vital : s'arracher à l'absurde, refuser la confusion, discerner le vrai. C'est bien là que se jouent à la fois sa grandeur et sa vulnérabilité. Car il peut terriblement se blesser en se concevant faussement lui-même, en se trompant sur les réalités. La vérité lui est vitale, le mensonge lui est un poison mortel.
"ça parle", mais personne ne parle
Il devient urgent de comprendre la nature de la parole humaine, avant que le déferlement des voix synthétiques ne submerge nos existences ? dans nos foyers, nos lieux de travail, nos environnements culturels. La machine n'a pas droit à la parole, parce qu'elle n'a tout simplement pas de parole. Pour qu'il y ait véritablement « parole », il faut pouvoir la donner. « Donner sa parole » consiste à s'engager, à se livrer. La vérité de nos énoncés se mesure à la capacité de les assumer, jusqu'au bout ? et parfois jusqu'à la mort. Une parole authentique est toujours habitée. Elle engage tout l'être dans son histoire.
