Café-Philo du Mardi

Peut-on s'épanouir dans la banalité ?

La banalité, c’est ce que l’on considère comme ordinaire, sans relief, sans éclat. C’est le quotidien qui se répète, les gestes routiniers, les journées qui se ressemblent. Spontanément, on associe l’épanouissement à l’exceptionnel : les réussites, les découvertes, les grands projets. Pourtant, la vraie question est peut-être de savoir si la banalité n’est pas, elle aussi, un lieu possible du bonheur.

Pour certains penseurs, comme Epicure ou Montaigne, l’épanouissement ne réside pas dans la recherche de l’extraordinaire, mais dans la capacité à trouver du sens dans la simplicité, une trame stable où peut s’ancrer la sérénité. L’épanouissement, ici, ne vient pas du dehors, mais de la manière dont on habite l’ordinaire.

D’autres — comme Nietzsche — y verraient une forme de renoncement. Se contenter du banal, ce serait fuir l’intensité de la vie, échapper à la création et à la transformation de soi. L’homme « banal » risquerait de vivre à moitié, sans jamais affronter le vertige de la liberté. Sous cet angle, l’épanouissement exigerait de rompre avec la banalité pour devenir pleinement vivant. Peut-on aimer la répétition sans tomber dans la monotonie ?

On peut voir dans cette opposition la dialectique entre bonheur et plaisir : alors que le bonheur nous est sans cesse posé comme horizon de notre vie au prix d'une forme de discipline, le plaisir nous maintient dans l'instant, nous priverait d'un éventuel accès au bonheur. Mais peut-on espérer le bonheur au prix d'une vie monotone ? Ainsi Herbert Marcuse insufflera certains mouvements contestataires du XXe siècle du "principe de plaisir". Y a-t-il à penser que l'horizon du bonheur ne nous suffit plus à accepter nos modes de vie ?

Faut-il, au nom de notre plaisir, fuir la banalité pour s’épanouir dans l'instant, ou au contraire apprendre à y trouver une forme de paix et de profondeur ? Quelle ressource intérieure peut nous permettre cette bascule ? L'estime de soi n'est elle pas au coeur de ce parti pris? Oscar Wilde disait : "Il faut être ordinaire pour être extraordinaire ». C’est une manière de regarder, de vivre et d’habiter pleinement le réel. Autrement dit, ce n’est pas la vie qui doit être spectaculaire, c’est le regard qui doit être vivant.

Ainsi notre regard, lorsque nous le tournons vers le passé avec nostalgie, peut-il aussi bien nous renvoyer à des événements marquants qu'au petit déjeuner que nous prenions avant de partir à l'école, moment idéal et que, pourtant, nous répétions tous les jours. En irait-il de même pour notre présent, ou pour notre avenir ? Lorsque nous aurons accédé au bonheur dont nous rêvions, remarquerons-nous seulement la banalité avec laquelle il se manifestera à nous ?

En effet, on conçoit souvent le bonheur comme un but au bout d'un parcours semé d'embuches, à la manière d'une intrigue de film, qui exige que l'accès au bonheur est la récompense d'une quête à accomplir, négligeant l'idée qu'au quotidien, notre vie s'inscrit dans une continuité caractérisée par la lenteur. Par ailleurs, un film qui fait la démonstration d'un état continu de bonheur n'existe quasiment jamais, on risquerait de s'y ennuyer cruellement. Y aurait-il donc un fantasme de l'accès au bonheur marqué par le fait qu'on ne parvienne jamais à réellement le montrer ?

Les moments les plus heureux de notre vie sont ils vraiment extraordinaires ?

Sources :

S'épanouir, qu'est-ce que cela signifie ?
https://stoagallica.fr/sepanouir-quest-ce-que-cela-signifie-par-britanny-polat/

Réussir et s'épanouir : deux représentations antagonistes du bonheur
https://revues-msh.uca.fr/kairos/index.php?id=341

Banalité, quotidienneté et vie active
https://shs.cairn.info/revue-nouvelles-fondations-2006-1-page-175?lang=fr

Le bonheur selon Schopenhauer
https://www.schopenhauer.fr/fragments/bonheur.html

Marcuse, société et libération du désir
https://major-prepa.com/culture-generale/marcuse-societe-liberation-desir/

L'estime de soi
https://youtu.be/a82VN1RZI-k

Les Fatal Picards - Bernard Lavilliers
https://www.youtube.com/watch?v=9i3aD_toF9s

RDV à partir de 19h20 (début de la séance 19h30), au café de la Cloche proche de la place Bellecour. Le sujet de chaque séance sera voté lors des séances précédentes et une introduction avec propositions de lectures/vidéos publiée quelques jours avant.